Prospecter les collectivités locales : les vraies règles du jeu en B2B
Prospecter des collectivités locales, ce n’est pas « faire du B2B un peu différent ». C’est un terrain de jeu avec ses propres codes, ses contraintes réglementaires, ses circuits de décision… et aussi ses énormes opportunités pour ceux qui savent s’y prendre.
Si vous arrivez avec vos méthodes de prospection « classiques » copiées-collées de l’IT ou du SaaS, vous allez surtout accumuler les frustrations : cycles interminables, dossiers qui n’aboutissent pas, appels d’offres perdus sans comprendre pourquoi.
Dans cet article, on va poser une méthode simple et actionnable pour :
Comprendre comment fonctionnent vraiment les collectivités
Identifier les bons interlocuteurs et les bons moments pour les contacter
Adapter votre discours, vos offres et votre prospection
Générer des rendez-vous qualifiés et des opportunités concrètes
Le tout sans jargon juridique, mais avec le niveau de rigueur que ce marché exige.
Comprendre la logique d’achat d’une collectivité (avant de sortir votre pitch)
Une collectivité locale, ce n’est pas une entreprise avec plus de paperasse. C’est une organisation avec :
Une forte contrainte réglementaire (Code de la commande publique)
Une séparation politique / administratif (élu vs direction des services)
Des budgets votés à l’avance (budget primitif, décisions modificatives)
Des priorités publiques (éducation, mobilité, sécurité, transition écologique…)
Traduction pour votre prospection : vous ne « vendez » pas une solution, vous aidez la collectivité à répondre à une politique publique et à respecter un cadre budgétaire et juridique.
Trois points clés à intégrer avant toute action commerciale :
Le temps n’est pas le même : une décision à 6–12 mois, c’est normal. Si vous pensez « quarter », vous allez être en décalage complet.
Le décideur final n’est pas toujours celui que vous rencontrez : vous parlez souvent à un responsable de service ou à un technicien, mais la validation peut passer par la DGA, la DGS, la direction des finances, voire l’élu référent.
La traçabilité est obligatoire : vos échanges, vos devis, vos propositions doivent tenir la route si, un jour, quelqu’un relit le dossier ou le contrôle.
En une phrase : plus vous donnez à votre interlocuteur les moyens de justifier rationnellement votre solution, plus vous augmentez vos chances d’avancer.
Identifier les bonnes collectivités et les bons interlocuteurs
Si vous ciblez « les collectivités » en bloc, vous êtes déjà mal parti. Une métropole de 500 000 habitants n’a rien à voir avec une communauté de communes rurale de 15 000 habitants.
Commencez par répondre à deux questions :
Votre offre répond à quel type de problématique ? (mobilité, économie locale, gestion interne, RH, communication, environnement, éducation…)
Quelles collectivités vivent le plus ces problématiques ? (taille, zone géographique, contexte spécifique : tourisme, industrie, ruralité…)
Ensuite, construisez une cible prioritaire. Par exemple :
Villes de plus de 50 000 habitants + intercommunalités urbaines
Collectivités engagées dans un plan climat ou une démarche smart city
Départements avec forte pression sociale ou scolaire
Pour chaque type de collectivité, identifiez vos interlocuteurs clés. Dans la pratique, on retrouve souvent :
Le DGS / DGA (Direction Générale des Services) : vision globale, arbitrages stratégiques
Le responsable de service concerné (éducation, voirie, com, finances, informatique…) : utilisateur et prescripteur
Le DAF / direction des finances : contraintes budgétaires, arbitrage financier
Le DSI (si votre solution est numérique) : faisabilité technique, sécurité, intégration
L’élu référent (adjoint, vice-président…) : dimension politique et image
Astuce simple : partez toujours du service qui « vit » le problème au quotidien. C’est là que vous trouverez vos meilleurs alliés en interne.
Adapter votre offre : sans ça, votre prospection ne sert à rien
Beaucoup d’éditeurs et de prestataires se plantent parce qu’ils ne font qu’« habiller » une offre privée en version « secteur public ». Ce n’est pas suffisant.
Pour être crédible auprès d’une collectivité, votre offre doit être :
Compatible avec la commande publique : modalités d’achat, seuils, types de procédures (MAPA, appel d’offres formalisé, accord-cadre…)
Simple à déployer dans un environnement souvent sous-staffé et sous tension
Documentée : fiches, notices, documentation technique, éléments pour les cahiers des charges
Sécurisée (pour les solutions numériques) : RGPD, hébergement, sécurité des données, clause de réversibilité
Quelques questions à vous poser avant même d’ouvrir un fichier de prospection :
Est-ce que mon offre peut être achetée en dessous des seuils avec une simple demande de devis ?
Est-ce que je peux proposer une phase pilote ou un POC compatible avec les règles d’achat ?
Est-ce que j’ai déjà un modèle de CCTP ou au moins des éléments pour alimenter un cahier des charges ?
Est-ce que je suis capable de fournir de vraies références dans le secteur public (ou à défaut très proches) ?
Plus vous simplifiez la vie du service achat et du service utilisateur, plus vos chances de concrétiser augmentent.
Prospecter via les marchés publics : ne faites pas que « répondre aux appels d’offres »
Beaucoup d’entreprises se contentent d’un réflexe : surveiller les appels d’offres et répondre quand ça colle. Problème : quand le cahier des charges est publié, il est souvent déjà trop tard pour influencer quoi que ce soit.
Votre travail de prospection doit se faire en amont.
Trois leviers à structurer :
Veille des marchés publics : utilisez des plateformes comme BOAMP, Marchés publics, ou des agrégateurs payants; paramétrez des alertes par mots-clés, zone géographique, type de collectivité.
Cartographie des besoins récurrents : repérez les marchés qui se renouvellent (logiciels, prestations récurrentes, contrats pluriannuels). Si un marché arrive à échéance dans 6–12 mois, c’est le moment idéal pour engager une discussion.
Contact en amont : quand vous voyez un marché en préparation ou un besoin probable, prenez contact avec le service concerné pour comprendre leur contexte, pas pour vendre en force.
Exemple terrain : un de mes clients SaaS a cessé de répondre à tous les appels d’offres sur son secteur pour se concentrer uniquement sur ceux où ils avaient eu au moins un échange avec la collectivité en amont. Taux de réussite multiplié par 3, temps passé divisé par 2.
Prospection directe : ce que vous pouvez (et devez) faire hors appels d’offres
Non, le Code de la commande publique n’interdit pas de parler à une collectivité hors procédure. Ce qui est encadré, c’est l’acte d’achat, pas la discussion.
Votre prospection doit viser deux objectifs :
Comprendre les priorités, les contraintes, les projets à venir
Vous positionner tôt comme partenaire utile, pas comme fournisseur opportuniste
Les canaux les plus efficaces :
Email et téléphone ciblés vers DGS, chefs de service, DSI, DAF
LinkedIn (de plus en plus utilisé par les cadres territoriaux)
Salons, congrès et réseaux de collectivités (AMF, Interco, réseaux thématiques)
Votre angle d’attaque ne doit pas être « Bonjour, j’aimerais vous présenter notre solution ». À la place, travaillez des accroches orientées sur leurs enjeux :
« Comment vous gérez aujourd’hui [problème] au sein de votre collectivité ? »
« On accompagne déjà [telle collectivité proche / similaire] sur [enjeu]. Est-ce que le sujet est d’actualité chez vous ? »
« J’ai vu que vous aviez lancé [projet, plan, délibération]. Comment vous abordez la partie [X] ? »
Le but du premier échange n’est pas de déballer votre démo. C’est de comprendre :
Le niveau de maturité du sujet
Le calendrier politique et budgétaire
Les autres acteurs impliqués (élu, DAF, DSI…)
À partir de là, vous positionnez un rendez-vous de diagnostic, même court, pour approfondir.
Structurer un message de prospection qui parle à une collectivité
Votre discours doit coller à trois dimensions que vivent les collectivités au quotidien :
Impact concret sur le service public rendu au citoyen
Réduction de charge (temps, complexité, risques) pour les agents
Maîtrise budgétaire et sécurité juridique
Un bon email de prospection B2B classique pourrait dire :
« Nous aidons les entreprises à optimiser leur gestion de [X] et à gagner [Y] % de productivité grâce à notre solution SaaS… »
Version « collectivité » du même message :
« Nous aidons des villes comme [Ville A] et [Ville B] à :
Réduire de [X] % le temps passé par les agents sur [processus administratif]
Améliorer [indicateur concret lié au citoyen : délai de traitement, qualité du service, accessibilité…]
Sécuriser la gestion de [données / procédures] au regard du RGPD et du contrôle de légalité
avec une solution déjà déployée dans le secteur public et compatible avec vos contraintes budgétaires et marchés. »
Vous voyez la différence ? On parle leur langage, leurs risques, leurs objectifs.
Gérer les cycles longs sans se faire oublier
Le nerf de la guerre en prospection collectivités, ce n’est pas seulement d’entrer en contact. C’est de rester dans le paysage pendant des mois, parfois des années, jusqu’à ce que la fenêtre d’opportunité s’ouvre.
Pour ça, vous avez besoin d’une vraie stratégie de suivi, pas d’un simple rappel tous les trois mois.
Concrètement, mettez en place :
Un CRM rigoureusement rempli avec : projets en cours, échéances de marchés, dates de budgets, personnes impliquées, décisions politiques.
Un plan de nurturing : contenus utiles et ciblés (webinars, retours d’expérience d’autres collectivités, guides pratiques, benchmark). Pas de newsletters génériques.
Des points d’étape programmés : « On se recontacte après le vote du budget en avril » ou « à la fin de votre phase test sur X ».
Le bon rythme : revenir avec quelque chose de précis et utile, pas juste « des nouvelles ».
Éviter les erreurs classiques qui plombent vos chances
On retrouve toujours les mêmes faux pas chez les commerciaux qui découvrent le secteur public. Les éviter vous donne un avantage immédiat.
Parler d’abord de votre solution, pas de leurs contraintes : commencez par comprendre leur organisation, leur contexte politique, leurs autres projets.
Ignorer le calendrier budgétaire : si le budget est bouclé, vous ne ferez pas de miracle sur l’année. Par contre, vous pouvez vous préparer pour le prochain exercice.
Ne pas respecter la hiérarchie : contourner un chef de service pour aller directement voir un élu est souvent contre-productif. Vous créez des résistances internes.
Promettre des délais ou des engagements irréalistes : la collectivité sait que ses propres délais sont longs; si vous sous-estimez vos propres délais, ça décrédibilise tout le dossier.
Ne pas adapter vos supports : un powerPoint « corporate » prévu pour des DAF de groupes privés ne parle pas du tout à un comité de direction territoriale.
À l’inverse, une posture qui marche bien :
Respect des contraintes (vous montrez que vous connaissez le contexte public)
Transparence sur ce que vous savez faire, et ce que vous ne faites pas
Capacité à formaliser : notes de cadrage, estimatifs, éléments pour les cahiers des charges
Construire un plan d’action sur 30 jours pour lancer votre prospection collectivités
Si vous partez de zéro ou presque, voici une feuille de route simple à mettre en place. L’objectif n’est pas d’avoir signé un marché dans 30 jours (irréaliste), mais d’avoir un pipeline et des rendez-vous sérieux en cours.
Semaine 1 : cadrage et préparation
Clarifiez votre cible : types de collectivités, taille, région, services concernés.
Listez 3 à 5 cas d’usage concrets et parlants pour le secteur public.
Adaptez votre pitch et vos supports (fiche 1 page dédiée aux collectivités, email type, script d’appel).
Paramétrez vos alertes de marchés publics et commencez à cartographier les renouvellements.
Semaine 2 : construction du fichier et premiers contacts
Constituez une liste de 50 à 100 collectivités prioritaires.
Identifiez au moins 2–3 contacts par collectivité (DGS, chef de service, DAF, DSI).
Lancez vos premiers emails personnalisés (par persona et par type de projet).
Commencez les premiers appels de qualification, uniquement orientés compréhension du contexte.
Semaine 3 : rendez-vous de diagnostic et structuration du suivi
Planifiez des entretiens de 30–45 minutes avec les collectivités intéressées.
Utilisez un canevas d’entretien orienté : enjeux, projets, calendrier, contraintes juridiques et budgétaires, acteurs impliqués.
Documentez tout dans votre CRM, y compris les prochaines étapes réalistes (POC, démonstration, atelier avec d’autres services…).
Semaine 4 : approfondissement et création de valeur
Pour les collectivités les plus chaudes : construisez une note de cadrage ou une proposition préliminaire très pédagogique.
Envoyez un contenu à haute valeur ajoutée (retour d’expérience, benchmark, mini-audit gratuit…) à l’ensemble des prospects contactés.
Planifiez avec chacun un prochain point daté : après vote du budget, après réunion interne, après l’été…
À ce stade, vous ne signez pas encore des contrats, mais vous avez ce qui manque à 90 % de vos concurrents : une présence structurée, des échanges de qualité et des perspectives claires.
En résumé : penser « partenaire public » plutôt que « vendeur B2B »
Prospecter efficacement les collectivités locales en B2B, ce n’est pas une histoire de phrases magiques ni de hacks de growth. C’est avant tout :
Comprendre en profondeur leur logique de décision, leurs contraintes et leurs priorités.
Adapter réellement votre offre, vos supports et votre discours au secteur public.
Entrer tôt dans les projets (avant les appels d’offres) et rester présent intelligemment.
Professionnaliser votre suivi pour gérer des cycles longs sans perdre le fil.
La bonne nouvelle : comme la plupart de vos concurrents se contentent de répondre à la volée à quelques appels d’offres, le simple fait de structurer votre prospection vous place déjà dans une autre catégorie.
À vous maintenant de décider : continuer à subir les marchés publics… ou devenir l’un de ces rares partenaires que les collectivités appellent en amont pour « voir comment on pourrait faire ensemble ».